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Salif Keita ou la croisade d'un artiste engagé

Culture(s) : Mali


Afro-Pfingsten Festival 2009 / 31.05.2009


Le décor est Suisse (clean…), mais l’ambiance est africaine… sur la bande d’enregistrement on entend encore les cris de l’homme. Un boucan pas possible, des djembés, et le saxo en toile de fond entonnant l’entrée sur scène de Seun Kuti (le plus jeune fils du grand Fela Kuti) précèdent les vibrations de Salif Keita.

On est à l’incontournable Afro-Pfingsten Festival de Winterthur où l’équipe de Daniel Buehler a tout fait pour que ces personnalités se sentent chez elle.
Malgré un concert d’une heure et quinze minutes, l’artiste a sa pêche habituelle, le regard vif et saccadé. Salif Keita reçoit les journalistes de www.mia-culture.com dans sa loge de star, tel un maître qu’il est, et nous, comme des disciples prêts à accueillir son message plein de sagesse. Sous un baobab ? Un arbre à palabres ? Peu importe, c’est tout comme…

Comme vous le savez, son dernier album « Mbemba » enregistré à Bamako, tout comme « Moffou » d’ailleurs, marque un véritable retour aux sources. Presque une revendication de l’africanité.
Monsieur Keita, le vieux loup engagé, l’artiste combattant de la cause albinos, a un message pour les lecteurs de MIA-Made In Africa.

Mocong, Kodjovi et Munganga (ci-après: MIA):
- Monsieur Keita, quel est le message contenu dans votre musique ?

Salif Keita (ci-après: S.K.):
On passe tous un message de paix et de souffrance pour l'Afrique. On parle de la société, surtout dans ses besoins. C'est vrai qu'il n'y a pas que les besoins. Il y a aussi beaucoup d'amour. Il y a beaucoup de beauté en Afrique mais on parle généralement de l'Afrique au niveau social, quand on parle de l'Afrique.

MIA:
Et de part vos origines mandingues, que voulez-vous nous transmettre de votre pays le Mali ?

S.K.:
Bien que je chante en malinké, ma démarche n'est pas uniquement en faveur d'une ethnie ou d'un pays. C'est beaucoup plus l'Afrique dans sa diversité culturelle et dans ses besoins en général.

MIA:
Après plus de 40 ans de carrière, comment pensez-vous que le monde perçoit votre musique et la musique africaine en générale? Par exemple, par le fait qu'elle soit classée comme « world music » ?

S.K.:
Ca enrichit, mais quand c'est classé comme « world music » ou « musique ethnique », les acheteurs ne partent pas là-bas généralement. Quand c'est la musique, c'est la musique ! Qu'est-ce qui n'est pas world music? ça veut dire musique du monde… et quand tu classes une musique dans un rang appelé musique du monde, le gens n'y vont pas, même s'il y a quelque chose d'intéressant.

MIA:
Et après 40 ans de carrière, vous avez toujours la pêche, toujours l'envie, l'énergie d’exprimer votre message?

S.K.:
Oui, c'est ma vie ça... (grand sourire...) c'est ma vie ça....

(Rires collectifs...)

MIA:
Vous avez créé une fondation qui s'appelle Fondation Sakif Keita. Vous avez un combat par rapport à la situation des albinos en Afrique. Pouvez-vous nous en dire plus ?

S.K.:
Bon, moi je suis albinos et j'ai commencé à souffrir de cette situation depuis l'âge de 5 ans. J'avais remarqué que je n'étais pas comme les autres. Peut-être qu'en Europe, la différence passe beaucoup plus facilement. Mais en Afrique, avoir des parents noirs et être blanc, c'est un contraste qui passe très difficilement. Les albinos en souffrent beaucoup. Ils sont sacrifiés... On boit leur sang... Certains
sont même vendus en pièces détachés (ndlr: en Afrique, on prête des pouvoirs magique aux albinos). Donc, c'est très difficile. Moi, j'ai mal vécu ça et c'est pourquoi j'ai créé cette fondation. Je ne veux pas que les jeunes passent par là où je suis passé. Je ne veux pas qu'ils souffrent de la même manière que moi. Quand tu te promènes dans la rue et tu vois les enfants qui crachent sur toi et que tu rentres chez toi la chemise mouillée de salive... Je pense que personne n'aimerait vivre
comme ça...

MIA:
Et quelles sont les activités de la fondation ?

S.K.:
Cette fondation est le lieu de rencontre des albinos qui viennent chercher les crèmes que nous leur donnons. On les aide à parvenir à s'accepter, parce qu'ils étaient tellement maltraités, ils ne voulaient pas se réunir. Mais avec la fondation, ils sont en train de se rassembler, de sentir qu'ils sont concernés par le même problème et qu'ils doivent lutter ensemble et qu'ils ont un combat à mener. Et on veut aller beaucoup plus loin.
D'ailleurs, il y a un mouvement qui est beaucoup plus propice à leur insertion sociale. Il y a un cas au Burundi ou 10 albinos ont été sacrifiés. Et le procès est en cours et onze personnes sont inculpées. Et en Tanzanie aussi, il y a eu les mêmes problèmes. Cela ne veut pas dire que dans le reste de l'Afrique ça ne se passe pas, dans le reste de l'Afrique ça se passe aussi. Mais c'est souvent politique et personne n'aimerait lutter contre le pouvoir. Si tu luttes contre le pouvoir, tu vas en prison ou tu es maltraité autrement... Donc les gens ont peur, et même si tu fais un procès, cela ne va pas plus loin.

MIA:
Vous avez des enfants ? Avez-vous des albinos parmi eux ?

S.K.:
Oui, j'ai des enfants comme tout africain! Parmi eux, il y a deux
albinos.

MIA:
Et vous avez réussi par votre vécu à mieux leur faire accepter la vie?

S.K.:
Est-ce que quelqu'un peut faire accepter la vie à quelqu'un d’autre? Je crois qu'ils vont sentir nos efforts, on va les mettre en condition. Ma première fille, qui est albinos, a été médaillée aux jeux para-olympiques de Pékin pour la France en 400m (ndlr: Nantenin Keita est malvoyante, médaille de bronze). Je crois qu'elle est devenue une star et j'espère que les albinos vont s'investir dans le sport, dans certaines choses beaucoup plus populaires. Pourquoi pas en étant comédien pour que la vie soit meilleure pour eux. Enfin, j'espère qu'ils trouveront le chemin…

MIA:
Et vous résidez à Bamako ou en Europe ?


S.K.:
Je réside au Mali.

MIA:
- Pouvez-vous nous parler de vos musiciens préférés, notamment les jeunes qui pour vous composeront la place musicale africaine de demain ?


S.K.:
En Afrique, il y a quand même pas mal de jeunes artistes qui montent.
Il y a Amadou et Mariam qui sont deux aveugles qui ne se sont pas contentés de prendre leurs bâtons pour quémander comme les autres aveugles le font, tout en étant à la charge des gens. Mais eux, ils sont en train de voler de leurs propres ailes. Ils sont un exemple pour les handicapés africains qui croient que le bonheur se trouve dans la mendicité car ce n'est pas vrai.
En plus de Amadou et Mariam, il y a Habib Kouyaté, Toumani Diabaté. Il n'y a pas que les maliens, les artistes ouest africains en général.
L'Afrique est en train de monter globalement.
Les artistes sont là pour sortir l'Afrique du trou. Les politiques ne le diront jamais mais nous sommes plus efficaces qu'eux... D'abord, nous on ne détourne jamais l'argent, on n’a pas l'argent à notre dispo. En plus, nous parlons toujours de l'Afrique. Et partout où l'on va, on dit: «voilà un artiste africain ». Même quand la couleur noire n'était pas connue, il a fallu que les artistes noirs viennent pour qu'on découvre la culture africaine. La culture africaine a beaucoup servi l'Afrique.

MIA:
Et aujourd'hui dans ce business, est-ce que vous estimez que par rapport aux maisons de disque, un artiste africain peut vivre correctement en Afrique sans aller se produire sur scène en Europe pour
générer des fonds ?

S.K.:
Cela fait beaucoup d'années que je sais que les maisons de disques vont disparaître. Mais le visuel va rester et les gens vont toujours venir aux concerts.


MIA:
Le marché des concerts en Afrique est-il aussi important qu'en Europe?

S.K.:
Non, parce que nous n'avons pas d'infrastructure. Et pour l'instant, il n'y a pas de subvention pour aider ceux qui ont ces activités en Afrique. Les organisateurs ont des problèmes d'administration. Et le pouvoir d'achat ne permet pas de mettre à l'aise les africains.
Malheureusement, la culture en Afrique est mise au dernier rang. Alors qu'elle devrait être au premier rang. La culture est mal servie.

MIA:
Et vous tournez surtout en Europe, en Asie ?

S.K.:
Moi je vis partout... (rires ...)
Je ne reste jamais plus de 15 jours quelque part. Je suis tout le temps
parti.

MIA:
En Amérique aussi ?

S.K.:
Quand je vais aux USA , je fais 25-30 concerts !

MIA:
Et donc par année, vous faites 50-100 concerts dans le monde ?

S.K.:
Non, c'est beaucoup plus....
Je crois que c'est un devoir pour les africains de faire bouger l'Afrique.


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BIOGRAPHIE
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En Afrique, les albinos sont souvent rejetés. Dans la musique, la couleur qui importe est celle du chant. Salif Keita à la voix puissante et claire, mais un défaut pour pouvoir chanter : il est prince, descendant de Soundiata, le fondateur de l’Empire Mandigue au 12ème siècle. Il lui est donc interdit d’être griot. Mais la volonté est plus forte que toutes les traditions.

Salifou Keita, alias Salif Keita, naît à Djoliba, au Mali, le 25 août 1949. Né au bord du fleuve Niger, la nature aurait dû noircir sa peau, la protéger du soleil. Mais Salif Keita naît blanc. Sans défenses contre les agressions du soleil, il l’est aussi contre les superstitions et l’ignorance. La couleur de sa peau inquiète. Le petit doit être maléfique. Le père de Salif décide alors de répudier la mère et l’enfant. La croyance n’a pas toujours du mauvais : un chef religieux, aux prédictions heureuses, fait changer le père d’avis.

La destinée de Salif est peut-être heureuse, mais elle commence par le scandale, le rejet et les railleries dues à sa couleur de peau. L’enfant solitaire se réfugie dans les études et les poèmes en chansons des griots, ces conteurs qui transmettent de génération en génération les récits des épopées familiales. Salif, comme les chanteurs de blues, forme sa voix dans les champs. Mais son chant ne l’allège pas de son fardeau, de sa condition d’albinos : il sert d’épouvantail ; à éloigner oiseaux et singes du maïs.

Salif Keita, féru d’études, brillant élève, veut devenir instituteur. Mais sa vue, aussi peu protégée des U.V. que sa peau, est mauvaise. Elle l’empêche de réaliser son souhait, mais il en a d’autres : il veut être musicien. Mais il est prince, pas de la caste des griots. Le chant, qui se transmet de père en fils, semble encore un souhait irréalisable. Pour chanter, il doit enfreindre les règles ancestrales. Salif Keita veut défier la tradition, quitte à devenir indésirable. Dans les années 60, il quitte donc sa famille pour habiter seul.

Salif Keita chante dans les cafés et sur les marchés de Bamako, loué par Amadou et Mariam. Son chant particulier, puissant - habitué à repousser primates et volatiles – et haut interpelle un saxophoniste : Tidiane Koné propose à Salif Keita de rejoindre sa formation, le Rail Band du Buffet de la Gare de Bamako. Il accepte et interprète les chants traditionnels avec toute la modernité de son esprit libéré des normes. En 1972, il quitte le groupe pour en intégrer un autre. Avec les Ambassadeurs, Salif Keita chante pour une clientèle internationale. Le répertoire devient sans frontières. Le chant ne s’arrête pas à l’Afrique, mais va voir du côté de la France, des rythmes cubains ou des sonorités anglo-saxonnes. Les Ambassadeurs ne s’arrêtent pas non plus à leur motel : ils partent en tournée.

En 1979, Salif Keita s’installe à Abidjan, au sein d’une capitale musicalement active. Là-bas, il enregistre « Manjou ». Sa voix rencontre le succès. Puis Salif s’envole vers les Etats-Unis avec Kanté Manfila, le guitariste guinéen des Ambassadeurs. Là-bas, il enregistre « Primpin », une chanson au parfum de scandale : de drogue et d’alcool.

En 1987, « Soro » délivre un son à la fois pop et africain. En 1991, « Amen », auquel Carlos Santana a participé, paraît. En 2002, Salif Keita sort « Moffou » - disque d’or en France - pour lequel il retrouve le guitariste de ses débuts, Kanté Manfila. En 2005, « M’Bemba » est dans les bacs. Pour l’enregistrer, Salif Keita est retourné à Bamako. Ce disque, toujours acoustique, mélangeant toujours ses influences – rock, soul, chanson française, etc. – prend à témoin le « M’Bemba », l’ancêtre, le grand-père. La voix de Salif lui demande de voir l’intolérance dont il est victime.

Salif Keita a fait fi des interdictions de la tradition pour se consacrer à la musique. C’est avec le chant interdit qu’il retourne à la tradition, aux racines musicales de l'Afrique, faisant ainsi un joli pied de nez aux diffamateurs.







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